Tzanbillon

Chacun se rappelle ce coin idyllique de notre enfance : tous les amoureux du lieu y ont vécu des heures inoubliables. C’était un endroit de prédilection lorsqu’on se sentait l’âme de poète ; d’ailleurs Louis D., le poète, venait s’y promener en quête d’inspiration.

La vue s’étendait fort loin. A gauche : Chavannes-les-Forts, Siviriez, Brenles ; à droite : Villaranon, Drognens, maison de redressement à l’époque, Romont et sa tour à Boyer, puis tout au fond à l’horizon, derrière les Bois de Romont, on devinait le pays de Neuchâtel. Ce canton situé ainsi tout au nord, tournant le dos au soleil, ne nous attirait guère. Qui eût pensé alors que vingt ans plus tard j’y habiterais et que le soleil y brillerait tout autant qu’ailleurs ?

Le petit sentier connu des gens du coin reliait Pra Motta à la ferme des Maraiches en passant par les Oures. Là, vivait la famille C. : leurs enfants Mathilde et Joseph roulaient si joliment les «r». Les «bonnes langues» disaient que Mathilde était partie noyer un chagrin d’amour dans un couvent, comme dans les romans. Ce sentier était si joli : il côtoyait d’abord les Mèges puis, en serpentant, chevauchait le ruisseau de la scie, grimpait gentiment Tzanbillon pour dévaler la pente raide en direction de Chavannes. Au sommet, une haie de noisetiers séparait les champs à Auxence et le domaine des Oures. Là, une brèche était ouverte par où passait le sentier. Dissimulé sous un buisson de coudrier, se trouvait un petit banc où, éprouvés par la montée, on reprenait souffle.

Le bois de Morlens était à deux pas sur la gauche. Un petit chemin tortueux se faufilait entre les sapins, traversait le bois pour arriver aux perchets de Chavannes. C’était toujours là qu’on terminait les foins : aussi était-on toujours joyeux sur ce coin de terre. En automne, on y étendait le fumier. Un jour que papa et moi y étions justement occupés, Thérèse devait nous apporter «le café» (collation des quatre heures) toujours sucré, papa l’aimait ainsi. Quels rires en ouvrant le bidon et en y plongeant la «poche» (louche) de voir ce café qui nous regardait de mille yeux. Croyant nous faire plaisir, Thérèse, dans sa naïveté, s’était dit que du café crème, pour une fois, serait rudement bon. A défaut de crème, elle avait mis un morceau de beurre dans le bidon, très logique !

Qui se souvient des délicieuses myrtilles qu’on cueillait là, vers la lisière du bois, à la saison des regains ? Un régal digne des dieux !

Laisser un commentaire