Papa était originaire de Sommentier et de La Magne. Notre grand-père s’appelait Honoré, d’où notre surnom de «Ceux à Honoré au Curial». Ce mot patois signifiait curial (dans l’ancien temps, ce titre était donné à un employé municipal, un secrétaire communal, probablement).
Dans sa jeunesse, papa avait fait un stage à la Villa St-Jean à Fribourg, sans doute comme employé de maison. Il y avait appris les bons usages. Ainsi, lorsqu’il n’avait pas bien entendu quelqu’un, il ne disait pas «Comment ?» ou «Quoi ?» mais «Plaît-il ?».
Papa s’était installé à Pra Motta en mars 1928, quinze jours avant ma naissance. Tous mes aînés sont nés à Besencens où papa exploitait un domaine limitrophe du canton de Vaud. Il a débuté bien durement en pays glânois, puisque la crise commençait de sévir ; ce mot «crise», je m’en souviens, on l’entendait souvent dans la bouche de papa, sans trop savoir ce qu’il signifiait vraiment. Papa devait nous dire à l’époque : «On va bientôt pouvoir mettre la clef sur la porte !». Dans mon imagination d’enfant, je voyais une grosse clef suspendue à la porte devant la maison signifiant la fin de tous les espoirs ! Il faut relever une très noble qualité de papa : jamais un gros mot ou un juron ne sortait de sa bouche, ni aucune médisance. Quel bel exemple !
Maman, Augustine Bossel, était native de Besencens, en Veveyse. Couturière, dans sa jeunesse elle allait de maison en maison, emportant à bout de bras sa lourde machine à coudre à main dans son coffre de bois. Elle était donc capable de nous coudre tous nos vêtements, des pantalons de garçon à nos robes de fille, puisqu’elle était «tailleuse pour hommes et femmes». Plus tard, Maria a pris la relève ; elle avait appris le métier de couturière chez Mlle L’H. à Romont. Lorsque Maria cousait, je me souviens qu’une de nos obligations consistait à récupérer chaque soir les bouts de faufil et les épingles qui traînaient sur le plancher brut de la chambre.