Quand on cuisait le pain

Lorsque le pain commençait de manquer dans la «dépense» (petit local où l’on déposait les réserves alimentaires), on décidait de «faire au four». La veille de ce jour, on descendait le pétrin déposé au «corridor dessus», à côté des sacs de farine, de tourteau et de son. C’était au moulin de Fahys qu’on apportait son blé pour en retirer la farine. Le meunier, M. P., était un brave homme fort sympathique, tout grisonnant de farine. Papa commençait son levain. Dans le pétrin, il mettait la farine puis ajoutait l’eau tiède dans laquelle il avait délayé la levure et le sel. Le tout bien mélangé formait un amalgame au parfum aigrelet de bière, sur lequel il traçait une croix tout en saupoudrant de farine. Puis il délaçait son tablier blanc et en couvrait le levain. En hiver, le pétrin passait la nuit sur le banc du fourneau à la chambre. En été, il était entreposé sur la grande table surplombant l’escalier de la cave.

Le lendemain, après le déjeuner, on percevait une tension dans l’atmosphère. Maman était toujours énervée ce jour-là ! Etait-ce la chaleur du four allumé dès l’aube ou le fait d’avoir son mari dans les jambes à longueur de matinée ? Papa, lui, était toujours gai.

Il remettait le pétrin sur le banc devant la table ; le cérémonial commençait. Il posait sa pipe sur le rebord de l’arche (espèce de coffre avec trois compartiments pour le son et le grain pour les poules) vers la porte, remettait son tablier enfariné. D’un geste précis, il travaillait sa pâte du bout de ses doigts aussi longtemps qu’il le jugeait nécessaire. Puis au moyen d’une «pellette» de fer, il découpait des portions égales qu’il malaxait encore de la paume de sa main droite, tandis que sa main gauche imprimait un mouvement de rotation. Nous, les petites, regardions, le menton appuyé sur le rebord opposé de la table. Enfin, il déposait les pains de pâte dans les moules rectangulaires de tôle noire ; auparavant, maman les avait graissés avec un morceau de lard cru enveloppé dans une toile.

Puis maman avait préparé la pâte à gâteau au saindoux, en avait garni les grandes plaques sur lesquelles on rangeait les fruits de saison. Ce jour-là, on dînait de soupe et de gâteau, une cuillerée de l’une, une bouchée de l’autre. Emma A. apportait chaque fois son gâteau à cuire. Durant quelques heures, tout Pra Motta sentait bon le gâteau et le pain frais.

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