Notre premier poulain

Papa était parti à la foire de Bulle pour y acheter un poulain. Pour nous ce fut une attente folle. On n’avait toujours eu que ce vieux Coco. Avec l’âge, il avait pris une démarche anormale : à la descente, au lieu d’alterner ses pieds, il se mettait à avancer les deux pieds du même flanc en même temps. Cela lui donnait un équilibre si précaire qu’on croyait toujours le voir tomber ; ça se dit «aller à l’omble». Je vois encore papa arriver au-dessus du chemin, flanqué d’un mignon petit poulain de six mois, appelé Cadet. On lui fit l’honneur insigne d’entrer dans la cuisine où Folette n’était même pas admise. Qu’il était doux à caresser et quelle bonne odeur de jeunesse. Ses yeux étaient étonnamment limpides, comparés à ceux de Coco tout opaques de cataracte. Ce fut une des grandes joies de notre enfance que l’arrivée de Cadet.

Coco aussi devait être bien content d’avoir enfin à ses côtés quelqu’un de sa race. Il devait en avoir assez d’être attelé avec une vache puante de «beuse» dont il craignait tant les coups de cornes.

Lorsque Cadet eut pris du corps, des forces et l’habitude du collier, il fallut se résigner à se séparer de Coco. Papa a dû faire cela discrètement, par égard pour nous, puisque aucune image pénible ne m’est restée. Un souvenir pourtant est encore très net : ce jour-là, Lucie était chez Marie Carrard à Romanens. A son retour, quand on lui annonça la disparition de Coco, elle fondit en larmes… On était en train de boire le café.

Laisser un commentaire