Nos jeux

Ne possédant pas de jouet sinon quelque vieille poupée, il fallait redoubler d’imagination pour s’amuser. Dieu merci, on en avait !

Quelquefois, on jouait à la messe. Quiquine était toujours le curé. Je la vois encore, affublée d’un sac de serpillière serré à la taille par un lien agricole, penchée en avant dans une posture de profonde contrition, se frappant la poitrine en récitant des meaculpa à en perdre le souffle.

Parfois, on jouait à la guerre avec les A.. Gute nous avait fabriqué de beaux sabres de bois. Il avait déjà quelque penchant militaire ! En temps de paix, ils étaient alignés dans un ordre parfait, suspendus à des clous contre une poutre derrière la maison. Ainsi armés, le dimanche après les vêpres, on formait deux clans. Les haies et ravins du voisinage formaient un champ de bataille idéal. On luttait sans pitié ! On terminait la bataille plus par manque de temps que par défaite, épuisés d’avoir tant couru et sauté de ruisseaux. Les morts ressuscitaient comme par enchantement ! Les deux clans se réconciliaient jusqu’à la prochaine bataille. Vous qui lisez ces lignes, ne portez aucun jugement sur nous, nous n’étions pas de caractère chicaneur, ce n’était qu’un jeu.

On jouait aussi à la «bague d’or», assis sur un banc devant la maison. On ne possédait même pas une bague de pacotille… alors on prenait un caillou. En gardant les vaches en automne, on allumait facilement un feu au-dessus du Revers. Depuis l’antiquité, le feu a fasciné l’être humain. On cuisait dans la cendre des pommes de terre, des pruneaux, des pommes, des glands. Parfois, on n’osait pas quitter les vaches à midi, alors on nous apportait le dîner qu’on mangeait près du feu. Par beau temps, c’était merveilleux, mais quand le brouillard emprisonnait dans ses voiles toute la contrée, on se sentait du vague à l’âme. Pra Motta avait quelque chose de sinistre quand, aux soirs d’automne, le brouillard le prenait d’assaut : montant de Chavannes, il envahissait Chepey et progressait jusque chez nous.

En hiver, on s’adonnait aux sports d’hiver… et quels sports ! Paul nous fabriquait des skis en bois dur. Il plantait les pointes dans la «romaine» (chaudière en fonte) pleine de betteraves en ébullition. La chaleur et l’humidité rendaient le bois docile, on lui donnait la courbe désirée. Les fixations étaient faites de lanières de cuir découpées dans de vieux souliers. On faisait aussi des skis avec des douves de tonneau. Il suffisait d’un tantinet d’imagination pour se procurer du plaisir à bon compte. Les pistes de ski ne manquaient pas dans notre village perché sur ses hauteurs, neuf cents mètres environ. Et la «cramine» (froid) ne nous retenait pas.

Le chemin de l’école était aussi un trajet idéal pour nos rentrées en luge : assez de virages pour ressentir le frisson du danger, assez de dénivellation pour obtenir une vitesse agréable, une absence totale de circulation puisqu’il n’y avait aucune voiture au village. Ce parcours était aussi l’occasion de merveilleuses batailles de boules de neige, nos «malôtes» (boules de neige) étaient préparées avec sérieux. En hiver, on construisait aussi des igloos sur le chemin de l’école, aux Trois Sapins exactement. Quel ne fut pas un jour notre écoeurement en y trouvant les excréments d’un affreux colporteur que nous avions repéré dans les parages. Ce dégoûtant personnage (on le nomma ainsi dans notre cruauté d’enfants) a dû terriblement nous décevoir puisque après plus de trente-cinq ans, on ne l’a pas oublié !

Petites SoeursLes petites soeurs : Marguerite, Agnès, Cécile et Thérèse (au milieu devant).

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