On avait très peur des avions, surtout moi ! Ces engins vrombissants suspendus dans les airs ne m’inspiraient guère confiance. Par contre, dès qu’on apercevait le fameux Zeppelin on était émerveillés. De par sa forme, il avait quelque chose de rassurant, il glissait sans agressivité entre les nuages. On se trompait ! Qui eût pensé à l’époque qu’il était un instrument d’espionnage au service des Allemands ; il a dû photographier notre Suisse de long en large. Il avait été construit par un prince allemand, Zeppelin, d’où son nom.
L’orage nous effrayait ! Notre maison, tout en bois, au toit de bardeaux, aurait flambé comme une boîte d’allumettes. Aussi, en cas d’orage sérieux, on prenait des précautions. Si c’était de nuit, on devait s’habiller. Tous réunis dans la chambre éclairée par le falot à pétrole et les éclairs, on se sentait enclin à la prière. Dieu seul pouvait nous préserver du danger qui planait sur nos têtes. Dès les premiers roulements du tonnerre, on jetait dans le feu du potager un rameau de «bénit», puis maman entrouvrait le guichet et jetait parmi la pluie un verre d’eau bénite ; c’était pour être préservé de la grêle. On invoquait sainte Agathe.
Le miracle ne se produisait pas toujours. Chacun se rappelle le 11 juin 1941. Tante Anne était morte dix jours avant cette date ; on disait qu’elle avait eu bien du bonheur de mourir avant cette nuit d’épouvante. Ce soir-là, on était allés aux complies. Il faisait tellement lourd, humide et tiède qu’on sentait qu’il se préparait quelque chose d’anormal. Peu après, l’orage éclatait, d’une violence inouïe… Un orage de grêle s’abattit sur la région durant un temps qui nous parut une éternité : pas un souffle pour dissiper les nuages meurtriers. On se sentait abandonnés par Dieu et maudits ! Ce soir-là, chacun dans chaque maison crut recevoir la foudre sur sa tête. Prêts à quitter le toit qui nous protégeait, nous étions tous dans la chambre, terrorisés. La même terreur régnait dans tout le village. Un seul être pourtant n’entendit rien et dormit comme un loir : c’était, rappelez-vous, Jean C.
Au petit matin, l’orage bourdonnait encore vaguement comme s’il ne pouvait pas calmer sa rage. On vit papa désespéré devant le spectacle de désolation qui s’offrait à ses yeux ! Tout avait été littéralement haché : pommes de terre, betteraves, petits pois, blé en herbe, jardins. On ramassait à pleines mains les fraises juste formées qui jonchaient le sol. Il fallut bien du courage pour repartir à zéro avec les cultures à la mi-juin. Heureusement pour nous, papa ne manquait jamais de courage.