Les oncles

Ils étaient quatre célibataires, les oncles Pierre, Léon, Honoré et tante Anna vivant un peu comme des sauvages avec un demi-siècle de retard.

L’oncle Léon, toujours très fin et très soigné, un peu dépressif, avait quitté le toit familial pour aller gagner sa vie dans le canton de Vaud.

L’oncle Pierre, l’aîné, fermant un oeil, le gris peut-être, nous regardant de son oeilbrun, nous demandait invariablement en patois : «Lè diora la dyêra ?» (C’est bientôtla guerre) chaque fois qu’on le rencontrait.

Tante Anna, aux grands yeux de biche malheureuse, descendait chez nous, les deux mains pendantes devant elle, comme un pingouin. Elle nous demandait souvent :«Tiè que lè pô una denré ?» (Qu’est-ce que c’est pour une denrée). Lorsqu’on «faisait au four», elle venait chercher du charbon de bois pour son fer à repasser.

L’oncle Honoré, sourd comme une cloche, était un innocent vaguement débile mental qui aurait tant aimé serrer une fois une femme dans ses bras ! Hélas, son physique non plus n’avait rien d’attirant ! Pauvre de lui ! Maman disait : «Li fudrèmuri dè la puta fan !» (Il devra mourir de la vilaine faim = sans avoir connu de femme). D’ailleurs, il allait souvent «aux filles» le dimanche soir, comme tous les garçons normaux du pays. Il emportait avec lui quelque cadeau, en guise d’appât : un cornet de pommes ou de noix, un saucisson… Combien de filles ont dû rire à ses dépens ! Si une de nous était partie quelque part, il nous demandait à notre retour :«Tu t’es plaîte !». Quand on le voyait monter à la laiterie la «boille» au dos, on craignait toujours que son lait se transforme en beurre, tant il était cahoté…

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