Ce soir-là, dès la nuit tombante, tous ceux qui se sentaient une âme patriotique grimpaient Les Mottès. Là, l’horizon s’étendait en demi-cercle. Par temps clair, on y voyait vingt-quatre clochers. Ce soir-là, un à un les feux des villages voisins s’allumaient en éveillant en nous l’amour de notre beau pays.
Quand notre feu à nous montait dans le ciel, tout en flammes et en fumée, Monsieur le Curé prenait la parole pour nous parler de la patrie : c’était solennel. Impressionnés par la lueur du feu, par la nuit qui nous cernait de toute part aux abords de ces grandes forêts sombres, on se sentait vraiment dans les mains de Dieu qui veillait sur notre belle Suisse, d’autant plus que la guerre faisait rage à nos frontières. Quelquefois, nous fêtions le 1er août à Tzanbillon. Chacun apportait un fagot dont on faisait un petit feu. Là, point de discours, ni de grands mots patriotiques. L’oncle Honoré était toujours de la partie. Poussés par une diabolique envie de s’amuser, on lui demandait de nous chanter quelque chose. Alors, d’une voix de tonnerre, mal contrôlée par sa surdité, il entonnait : «A Colombier, on nous défend les filles, oui bien les filles sur les rangs». Il chantait aussi fort que faux ! Nous riions comme des fous, rosses que nous étions. Les A. étaient avec nous. Qui s’en souvient ?