Jules, le papa, veuf, tout perclus de rhumatismes, paraissait usé avant l’âge. Ce qui nous frappait le plus en passant devant leur maison en bonne saison, c’était cette pauvre Léa, handicapée, toute ratatinée sur son fauteuil d’osier. Comme elle était radieuse quand, en rentrant de l’école, on prenait la peine de s’attarder un peu vers elle. On aurait dû le faire plus souvent.
Il y avait aussi Jean, de mon âge, petit blond chétif ; il arborait toujours une longue «chandelle» (morve) qui nous levait le coeur. Il était un passionné des «goua», espèces de petites sources suintant entre les pierres du chemin et qu’il nommait ainsi. Il est mort peu avant notre première communion en mai 1936.
Louis était le poète du village. Il dessinait aussi à merveille à l’encre de Chine et mariait admirablement le verbe à ses heures d’inspiration. Très souvent il venait se promener à Pra Motta, un béret basque sur l’oeil droit, la pipe à la bouche comme tout poète qui se respecte.
Sidonie, l’aînée, avait bien du souci à la tête de cette famille privée de maman. Elle avait eu plusieurs violons d’Ingres : un temps ce fut la culture des fleurs en rocaille qui la passionna, on admirait ses belles rocailles ; puis ce fut l’élevage des canards au détriment des fleurs et, finalement, elle fit monter un métier à tisser et devint une tisserande renommée.
Berthe, plus jeune, avait quitté le toit paternel pour d’autres horizons, les gens bienpensants parlaient de chagrin d’amour. Fernand, grand amoureux de la nature, était jardinier, un des plus beaux métiers de la terre.
Que chacun d’eux me pardonne d’avoir cueilli tant de bouquets de myosotis, ma fleur de prédilection, lorsque, enfant, je descendais de l’école. Il y en avait tant dans le talus devant leur maison !
Tels étaient nos voisins, tous de braves gens attachés à leur coin de terre.